Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
DojoClub Evreux Judo originel et Jujitsu

AWAZU SENSEI : LE MAÎTRE DE LA TRADITION.

Dojo Club d'Evreux

AWAZU SENSEI : LE MAÎTRE DE LA TRADITION.

Me-AWAZU.png 

 

« Je suis d’abord japonais – et judoka….. ». Ainsi se définit Maître Awazu, 9e dan. Fidèle aux principes élaborés par Maître Jigoro Kano, mais peut être un peu désabusé, il affirme toujours la nécessité de travailler selon cette règle fondamental Shin, Tai, Jin, esprit, corps, pratique.

Je suis en Europe depuis  plus de 40 ans déjà ! Après la guerre, je travaillais à Kyoto. Au Budokaï avec Maître Kurihara. Maître Kawaishi, qui était également son élève lui a demandé d’envoyer quelqu’un pour enseigner. Maître Kurihara m’a proposé, et je suis venu.

 

 

 

L .M : Quelle était la situation du judo à cette époque ?

Awazu : Il y avait déjà environ 200 ceintures noires. , et des judokas dans toutes les grandes villes, mais pas d’organisation. Nous avons mis sur pied l’équipe nationale, organisé des démonstrations régionales, et en décembre 51 les premiers championnats d’Europe.

JUDOKAS OU COMBATTANTS ?

L.M : Qu’avez-vous pensé de la pratique du judo ?

Awazu. J’ai d’abord trouvé que les pratiquants n’étudiaient pas assez la technique. Ils étaient déjà ceintures noires, mais à la base du Judo il y a beaucoup de mouvements à travailler, et c’est cette recherche technique qui doit primer. S’il n’y a que la force, ce n’est pas intéressant, et surtout, on ne respecte pas l’idée maîtresse du Judo, qui est qu’on doit toujours progresser, s’améliorer. Selon Maître Jigoro Kano, un bon résultat s’obtient avec un minimum de force mais cela nécessite des années de travail…Alors si quelqu’un est physiquement fort, s’il gagne des médailles, va-t-on dire que c’est un bon judoka, ou seulement un bon combattant ? C’est le problème qui se pose actuellement au niveau mondial : le Judo, pour moi, c’est d’abord la technique. Mais on ne prend pas assez de temps pour l’entrainement, il y a beaucoup de compétitions, de championnats, alors la physique remplace petit à petit le travail. Si dans les compétitions, on applique que la force, on ne sait plus travailler à droite et à gauche, en avant et en arrière. Néanmoins, on considère les palmarès, on pense que le développement du Judo est positif, or c’est faux. Les résultats ne représentent pas tout.

L.M : Quelles sont selon vous les causes de cette évolution.

Awazu : Je pense que c’est dû à un manque d’éducation, par là j’entends la pratique, mais aussi l’esprit dans lequel on travaille. Une technique doit être répétée encore et encore, il faut une grande patience ! Je connais l’équipe nationale depuis 40 ans. C’est vrai qu’il y a eu des progrès au niveau des résultats….

L.M : Mais au niveau technique ?

Awazu : Eh bien, cela m’est difficile de répondre, n’est-ce pas, c’est un problème.

L.M : Pourtant il y a un entrainement quotidien, des entraineurs qualifiés, alors que manque-t-il ?

Awazu : L’entrainement aujourd’hui n’est plus le même qu’autrefois. Même les Japonais commencent à manquer de technique, comme je le disais, c’est un manque de temps.

L.M : Mais on s’entraine tous les jours à l’INSEP.

Awazu : Disons alors de qualité de travail….pour vraiment étudier, il ne suffit pas d’être présent. Autrefois les élèves étaient peu nombreux, on pouvait travailler individuellement, en fonction des problèmes de chacun. Maintenant il y a beaucoup de combattants, et avec 40 ou 50 personnes il est difficile de corriger ou conseiller sur des points de détail, qui sont aussi importants, comme une position de pied, par exemple. N’oublions pas que pour Maître Jigoro Kano, un mouvement c’est tout à la fois corps, esprit, technique : Shin, Jin, Taï.

 

L.M : C’est l’esprit qui diffère ? La technique ?

Awazu : Les règles d’arbitrages font que la victoire peut être remportée par Koka ou iuko. Bien sûr, tout le monde, normalement, souhaite gagner par ippon. Si on gagne ainsi ses combats, on est vraiment un bon technicien, un bon judoka. Pour les meilleurs combats, il faudrait peut-être supprimer Koka et iuko, mais alors on fermerait les championnats à beaucoup de petits pays qui n’auraient plus le niveau nécessaire. Je crois d’autre part que les règlements sur les catégories de poids ont aussi changé l’esprit du Judo. Il n’est plus nécessaire de travailler avec un partenaire plus fort que soi pourtant le Judo, c’était bien permettre au faible de gagner contre le fort. Or, le champion toutes catégories, c’est toujours le plus lourd, 120, 130 kg ! Alors où est l’esprit du Judo si c’est toujours le plus fort qui l’emporte ?  Là aussi, c’est un problème politique. Enfin, lorsqu’on travaille force contre force, en ignorant le déplacement inévitables, comme on l’a vu aux derniers championnats. C’est vraiment aller à l’encontre de la morale traditionnelle du Judo.

L.M : Comment, en tant que conseiller technique, réagissez vous à cette évolution ?

Awazu : Elle est très difficile à contrer car elle ne dépend pas que de nous, mais se produit à une échelle mondiale. Quand par exemple les Soviétiques sont arrivés en compétition, en utilisant des techniques de Sambo, comment pouvait-on travailler en face ? Ou on répond par la force, ou il faut une technique hors pair pour garder le contrôle. Parce que comment passer un mouvement si son adversaire est en position penchée, alors que soi-même on se tient droit comme on devrait le faire en Judo ?

L.M : Et on pouvait rien faire pour remédier à cela ?

Awazu : Bien sûr la Fédération Internationale est consciente de ce problème, et on sait que pour permettre au Judo de continuer, il faut revenir à une base technique et à une position de départ correcte. On a établi un système de règlements qui interdit les positions ou les attaques non conformes.

L.M : Sont-ils vraiment appliqué ?

Awazu : ça aussi, c’est un problème ! De toute façon, lorsqu’on en arrive à ce type d’interdits, c’est qu’on a dépassé le point limite : on risque de voir un Judo complètement déformé, où les deux adversaires resteront face à face, et le plus fort physiquement gagnera, sans qu’il soit question de technique. A mon avis, pour avancer dans le règlement de ce problème, il faut revenir à la base, à la formation du combattant lui donner une éducation suffisante.

L.M : mais qui va décider les combattants à travailler dans ce sens ?

Awazu : Les combattants, eux, visent la victoire, et c’est normal. Mais les enseignants doivent aussi penser au Judo, et faire changer le système : pour l’instant, on pense encore trop aux résultats, et pas assez au travail technique.

 

 

 

L.M : Comment équilibrer les deux ?

Awazu : On ne peut que conseiller, montrer comment obtenir de meilleurs résultats grâce à la technique ! Parce que quelqu’un qui n’a l’habitude que d’un ou deux mouvements se retrouve bloqué lorsqu’il ne peut pas les passer : il n’a plus cette faculté essentielle de pouvoir s’adapter à l’adversaire. On retrouve le manque de préparation, peut-être…..Mais si les combattants ne comprennent pas, s’ils ne pensent pas comme moi, je ne peux pas faire avancer cette situation tout seul.

L.M : De toute façon, c’est un travail qui s’inscrit dans une perspective à long terme.

Awazu : Il est vrai qu’actuellement, et je parle pour le Judo mondial, la situation semble bloquée pour cette génération de combattants. Dans un système traditionnel, le professeur s’occupe de l’élève dès l’enfance, il va aussi former son caractère ! Mais ici, lorsqu’ils arrivent au niveau compétition, ils sont déjà ceintures noires, déjà âgés, et il n’est pas facile de le conseiller ! Bien sûr l’époque est différente, et il serait difficile de suivre tous les principes de Maître Kano. Ici, en France, tout le monde peut s’inscrire dans un dojo. L’essentiel c’est peut-être d’avoir enseignants qui suivent les règles du Judo traditionnel, et pensent à son évolution. Car il faut bien distinguer deux aspects dans le Judo : d’une part ceux qui pratiquent la compétition, d’autre part, la majorité de pratiquants qui vient deulement travailler, étudier.

L.M : Vous avez connu plusieurs générations de champions. Dans leur pratique, que sont-ils devenus après avoir arrêté la compétition ? De bons Judokas ?

Awazu : Généralement, un champion, sa carrière terminée, va enseigner à son tour.

L.M : Mais que va-t-il enseigner, si, comme nous l’avons dit, il ne connaît bien que deux ou trois techniques ?

Awazu : Je ne peux vous répondre sur ce qu’il va faire…..mais s’il se sent responsable en tant qu’enseignant, à ce moment-là, il va lui falloir étudier encore.

L.M : Où ? Avec qui ?

Awazu : Et bien « ( Sensei s’interrompt, et me lance un regard plein d’humour) » il y a beaucoup de livres, n’est ce pas !? Mais bien sûr, c’est difficile d’étudier dans les livres….(redevenant sérieux), et il y a les stages organisés par la Fédération, où il peut travailler avec d’autre gradés, comparer ses techniques. Et puis, il ira dans les dojo, où, je ne sais pas, avec moi, par exemple, ou avec d’autres anciens.

L.M : Et vous pensez que dans les dojo, la situation est plus satisfaisante ? L’important me semble être le contact que nous gardons avec les professeurs, soit lors de mes visites en province, ou au cours des stages organisés. Mais il ne faut pas oublier que l’étude ne se termine pas au diplômes, la pratique en elle-même constitue une étude. Selon vous, le niveau de l’enseignement est donc bon ?

Awazu : Il y a beaucoup de clubs dans lesquels les enseignants sont assez âgés, ils étudient le judo depuis longtemps et ils vont former de bons judokas. Bien sûr on ne peut pas dire que 100 % des professeurs ! Ce serait impossible ! Mais justement les moins bons permettent de faire des comparaisons, de réfléchir à ce qui ne va pas.

L.M : Supposons qu’on puisse revenir 30 ans en arrière : referiez- vous la même chose ?

Awazu : Ce serait difficile, car les générations sont différentes. C’est une question d’atmosphère : le judo est toujours un Budo, c'est-à-dire qu’il exige le respect envers le supérieur, ou le plus âgé. C’est un état d’esprit : si on applique les techniques, ce n’est plus du judo mais de la bagarre ! Mais si on a bien travaillé les mouvements, alors même en combattant, l’esprit est tranquille. Le salut aussi est important, on s’incline en entrant, on s’incline devant le professeur, parce qu’on n’est pas dans un gymnase, mais dans un dojo.

L.M : Vous pensez qu’on ne peut pas enseigner cela en France ?

Awazu: Je crois que beaucoup d’anciens respectent ces règles.

L.M : Et parmi les nouveaux.

Awazu : Souvent, ils n’ont pas assez étudié. Ils sont arrivés au 3e,  4e dan par la compétition, et ils ont l’habitude du combat, qui est d’attaquer pour battre l’autre. Mais le Judo, c’est toujours considérer deux aspects : soi et les autres, ou bien, ce qui revient au même, soi et l’intérêt du Judo en général. Mais là aussi, quand je retourne en province, je retrouve ce respect, cette tradition ! Parce que les gens désirent réellement travailler le Judo, et sans cet esprit, ce serait impossible.

L.M : Donc, vous êtes optimiste ?

Awazu : Pas vraiment. Au fond, je suis japonais et judoka, d’abord. Je veux suivre les principes de Maître Kano,  avancer tout droit. Si on change, si on tourne parfois à droite, parfois à gauche, les élèves ne peuvent pas suivre. Alors j’avance……mais je ne suis pas toujours suivi ! Tant pis ! Il n’est pas nécessaire qu’il y ait cent personnes qui pensent comme moi, deux ou trois suffisent pour faire progresser les choses. Je suis d’abord attaché au Judo  traditionnel, c’est en tant que connaisseur du  japonais que je suis venu en France. Si quelqu’un travaille différemment, il comprendra peut-être mes principes dans quelques années, mais si moi aussi, je change, vers quoi nous tournerons-nous ?

La tradition, les principes sont comme le soleil : pas toujours visibles, il y a des nuages, de la pluie, pourtant le soleil est toujours là derrière.

L.M : Si je comprends bien, le Judo traverse une période un peu sombre ?

Awazu : Comme dans tous les sports, la politique joue un certain rôle, alors il y a un courant qui s’oriente vers la victoire avant tout. Mais pour moi, j’insiste sur l’éducation, la formation des judokas, sans perdre de vue l’orientation traditionnelle. Il faut bien sûr respecter les différences, il serait impossible pour des judokas français de rentrer complètement dans un système japonais, mais je crois qu’il est nécessaire de faire la synthèse de ces deux méthodes. Pour cella, suivre son chemin et être patient….

 

(interview de Me Awazu par Ludovic Métivier – décembre 2010)

 


Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commentaires